vendredi 12 mars 2010

Interview d'Yves Boisset

Voilà un de mes papiers préférés : l'interview d'Yves Boisset. En juillet 2008, le célèbre cinéaste était en plein tournage de L'Affaire Salengro à Lille. Il a accepté un entretien d'une bonne heure avec le petit journaliste stagiaire que j'étais. Si l'interview m'a marqué par la richesse des réponses du réalisateur de Dupont Lajoie, c'est aussi la simplicité et la gentillesse de ce dernier qui m'ont plu. Un vrai bon moment journalistique ! Avec en prime, le passage furtif de Jean-Claude Dreyfus (qui jouait le rôle d'Henri Béraud dans le téléfilm) au moment de l'interview !
J'avais une version longue de cette interview qui avait été, à l'époque, mise en ligne sur le site de la Ville de Lille mais pas moyen de remettre la "main" dessus... C'est donc la version "courte" que je poste ici !



« Les mots tuent plus
sûrement que les balles ! »



Entre deux journées de tournage,
Yves Boisset a accepté de répondre
aux questions de « Lille Magazine ».
Entretien exclusif avec le cinéaste engagé.


Lille Magazine : D’où vous est venue
l’idée de faire un téléfilm sur Roger
Salengro ?

Yves Boisset : Après avoir fait une enquête
sur le suicide de Pierre Bérégovoy, je me suis
remémoré l’histoire de Roger Salengro, qui
présente beaucoup de points communs avec
celle de l’ancien Premier ministre. Et puis il
y a là un sacré héritage dans la mesure où
Salengro est l’homme de la semaine des
40 heures, des congés payés ou de l’ancêtre
de la Sécurité sociale, avec l’invention de
« la santé pour tous ». Aussi, et c’est très
peu connu, 1,2 million de personnes sont
venues de toute la France pour assister à
son enterrement à Lille ! De toute l’histoire
de France, c’est l’enterrement où il y a eu le
plus de monde, preuve de la réelle ferveur
qu’il a suscitée. Et, de nos jours, paradoxalement,
il y a une certaine injustice car il a
été relativement oublié et son histoire est
étrangement méconnue.


Lille Magazine : Comment vous y êtes-vous
pris pour la réalisation de « Salengro, exécution
d’un ministre » ?

Y.B. : Comme dans tous mes films historiques,
tout est basé sur une enquête très
sérieuse. J’ai lu tout ce qui est possible de
lire sur Salengro, écouté quelques témoignages
authentiques sur sa vie et même
parcouru des rapports de police ! Chaque
scène du film tournée a réellement existé. En
revanche, ce que les gens ont raconté, ça on
peut l’imaginer ! En fait, on peut qualifier ce
téléfilm de fiction sociale aussi proche que
possible de la réalité.


Lille Magazine : Il y a également une part
de psychologie, de fragilité dans l’histoire
de Salengro ?

Y.B. : Oui, toutes les infos que j’ai pu
recueillir sur Salengro ont abouti à la même
conclusion : c’était indiscutablement un
homme honnête et intègre. Et les attaques
conjuguées de la presse d’extrême droite
et communiste sur sa prétendue désertion
l’ont tué. D’ailleurs, Le Populaire, journal
d’obédience socialiste, titrait le lendemain
de la mort de Salengro : « Ils l’ont tué ! »
La presse peut « massacrer » quelqu’un car
les mots tuent, parfois, plus sûrement que
les balles ! Le parallèle psychologique avec
Bérégovoy est ici saisissant car tous les deux
étaient issus d’un milieu modeste et ont très
mal vécu la calomnie… jusqu’à se suicider.


Lille Magazine : Pour interpréter Roger
Salengro, votre choix s’est porté sur Bernard-
Pierre Donnadieu…

Y.B. : Oui, c’est un acteur avec qui je m’entends
bien ! Et puis, il faut voir comment
Bernard-Pierre est habité par le personnage
de Roger Salengro ! C’est impressionnant,
j’ai rarement vu ça ! De jour en jour, il ressemble
de plus en plus à Salengro, même
physiquement ! Ça, c’est au moins une
qualité que j’ai, convaincre suffisamment
les acteurs pour que d’un coup, ils soient
vraiment habités par leur personnage.


Lille Magazine : L’histoire du film a-t-elle,
selon vous, des résonances avec des faits
actuels ?

Y.B. : Ah oui, c’est clair ! Par exemple, on a
tourné à Wallers au puits n° 4 de l’ancien
site minier. Sur les 200 figurants, il y avait
une bonne centaine d’anciens mineurs qui
ont vécu la fin des Houillères. On a filmé une
scène authentique, celle où Salengro vient
demander aux mineurs d’arrêter la grève
afin de sauver le Front populaire. C’était
extraordinaire parce que d’un coup, c’est
devenu une sorte de cinéma vérité où les
préoccupations actuelles étaient en cause.
Les types avaient perdu le texte de la scène
et parlaient comme s’ils défendaient leur
« bifteck » d’aujourd’hui !


Propos recueillis par Pierre Leduc (Lille Magazine n° 51,
août 2008)

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