samedi 13 mars 2010

Interview de Guy Le Flécher (Rédacteur en chef de Lille Magazine)

Dans le cadre de mon mémoire de stage sur la presse municipale ("Presse municipale : des journalistes comme les autres ? L’exemple de Lille Magazine."), j'ai sollicité mon maître de stage, Guy Le Flécher, pour parler de cette notion de "presse municipale". Un entretien passionnant (longue d'une heure quinze !) sur le journalisme institutionnel !


Pierre : Que pensez-vous de la notion de « journaliste
territorial » ?

Guy Le Flécher : Je vais, plutôt que de parler des journalistes territoriaux, parler de ma propre expérience, ce sera un exemple comme un autre puisque moi, je suis arrivé en mairie en 1986. Ça fait donc 22 ans. A l’époque, on ne parlait absolument pas de journalistes territoriaux, la notion-même n’existait pas. Ce qui se passait généralement, partout en France, c’était encore les débuts des journaux de collectivités, c’était de recruter à l’extérieur. Donc, moi qui étais à La Voix du Nord à l’époque à Denain et Valenciennes, j’ai été débauché par le Directeur de cabinet de Pierre MAUROY pour m’occuper du journal municipal et ça se passait généralement comme ça à cette époque-là, c’est-à-dire que la plupart du temps, les journaux municipaux ont remplacé les bulletins, ce qu’on appelait les bulletins municipaux où on y mettait essentiellement les compte-rendu, non même pas les compte-rendu toutes les délibérations des conseils municipaux plus quelques informations pratiques et c’est devenu, c’était à peu près dans l’ère du temps au milieu des années 80, des vrais journaux municipaux qui étaient fabriqués par, généralement, des journalistes professionnels qui venaient de la presse, de la presse traditionnelle entre guillemets. Et, aujourd’hui, il faut bien reconnaître que la presse des collectivités territoriales, de par le nombre d’exemplaires, quasiment toutes les villes même les plus petites ont leur journal, le tirage, hyper important puisque généralement c’est du toute boîte, c’est donc quasiment 30 à 40 millions d’exemplaires et par le tonnage de papiers imprimés : c’est devenu la première presse nationale. Ensuite, il doit y avoir, certainement, en tirage, la presse gratuite, et puis ensuite la presse traditionnelle PQR, nationale et puis hebdomadaire. Donc, tu vois à l’époque, quelque soit l’orientation municipale, de droite ou de gauche, on faisait appel, on débauchait des journalistes qui étaient, peut-être un peu connus, qui avaient une signature, qui avaient peut-être un certain talent reconnu et que ça rendait service à tout le monde. Moi, ça m’a rendu service parce que plutôt que de faire la route tous les jours jusqu’à Valenciennes de Lille où j’habitais. Ça rendait service également au cabinet du maire de l’époque puisque ça lui permettait de déléguer quelque chose qui devenait important, c’est-à-dire communiquer, et puis donner une information grâce à des journaux municipaux puisqu’en fait informer, c’est devenu un service public, quoi ! Ca a commencé à s’affirmer dans ces années-là et puis, bah maintenant c’est plus que jamais d’actualité. Donc, on ne parlait pas de journalistes territoriaux. D’ailleurs, je pense que les filières créées dans les écoles de journalisme sont récentes. Ça permettait donc à des municipalités ou à des conseils généraux, régionaux et autres de faire de l’information grâce à des journalistes professionnels. Des journalistes professionnels qui, du coup, amenaient dans ces collectivités leurs compétences mais également leurs regards, c’est-à-dire que bon, ils expliquaient à monsieur, madame le maire, que c’est peut-être pas nécessaire d’avoir 27 photos du maire et puis qu’on pouvait avoir un point de vue un peu différent même s’il était complètement conforme sur la vie locale. Souvent, les cabinets de l’époque, toujours quelque soit la couleur politique, ont recruté des journalistes professionnels. Je prends l’exemple de Lille : le directeur de cabinet de Pierre MAUROY était un journaliste professionnel, la directrice de publication du journal municipal, qui était adjointe au Maire à la culture était une journaliste professionnelle diplômée de l’ESJ, le directeur de la communication de l’époque était un journaliste professionnel qui venait du Dauphiné Libéré et moi-même, journaliste professionnel après une expérience au Matin de Paris, Matin du Nord, Voix du Nord. Le recrutement qui a continué ensuite, ici en Mairie : Sabine DUEZ, qui était journaliste à La Voix du Nord et Valérie PFAHL, également journaliste professionnelle et dernier recrutement en date, ça avait été un recrutement fait par Martine AUBRY, c’était Pascal PERCQ qui était directeur du service Démocratie participative et qui, lui, a 25 ans d’ancienneté à Nord-Eclair. Elodie De VREYER qui a été embauché également est une ancienne de Nord-Eclair. Donc tu vois, il y a malgré tout, même si dans les années 80, 90, il y avait un fort débauchage, ça continue, quoi ! Il y a quand même une lignée parce que bon, tu imagines que pour débaucher un journaliste, même si ça peut poser quelque fois des problèmes d’égos entre journalistes, il n’empêche que ça rend quand même des services, autrement les municipalités ne le feraient pas. A Villeneuve d’Ascq, ils ont également embauché une ancienne journaliste de Nord-Eclair au service Com’. Il y avait aussi l’ancienne attachée de presse de Pierre MAUROY qui était une ancienne journaliste comme moi au Matin du Nord. Et l’exemple que je te donne sur Lille, il est valable pour plein de villes où si tu t’intéresses un peu à ça, tu verras qu’il y a eu un débauchage, à droite comme à gauche…


Pierre : Un tournant ?
G.L.F. : Oui, c’est-à-dire qu’il fallait communiquer et faire des journaux, il n’y avait pas de personnel municipal qui était formé ou que ça intéressait donc on recrutait comme ça en contractuel. Même à l’époque au gouvernement, celui qui faisait les discours de Pierre MAUROY quand il était Premier Ministre, Thierry PFISTER, c’était un ancien journaliste du Monde. Et donc y’a toute cette période…et je pense qu’encore actuellement, regarde Catherine PEGARD, qui était rédactrice en Chef du Point elle travaille pour Sarko, BENAMOU qui travaillait pour La Provence a aussi été débauché…Donc je ne sais pas s’il y a des journalistes territoriaux ou alors il faudrait voir de près la formation qui est donnée. Comment on forme un journaliste territorial ? Je ne sais pas. Ou alors il y a des journalistes qui viennent de la presse traditionnelle qui deviennent des journalistes pour des journaux territoriaux. Dans ces cas-là, il y a toujours, tu vois, certaines prérogatives, certaines susceptibilités, tu vois, qui font que les politiques aussi doivent s’en accorder.


Pierre : Et si on revenait un peu sur l’historique du journal municipal de Lille, qu’est-ce qu’il y a eu avant Lille Magazine ?
G.L.F. : En fait, ce qui a servi de journal municipal pendant des années, c’est-à-dire depuis que Pierre MAUROY est devenu Maire en 1973 jusque 1995, ça a servi de journal municipal mais c’en était pas un, ça s’appelait le Métro. Le Métro, pourquoi, bah c’était dans le cadre de la construction de l’infrastructure MétroVal et tout et en même temps de la construction politique qu’avait Pierre MAUROY à l’époque de faire une grande métropole. Donc Métropole, Métro, le Métro. Et ce journal-là, qui servait de journal municipal, qui était distribué dans toutes les boîtes aux lettres, était en fait un journal géré par une SARL de presse et financé par de la pub. En 1995, avec les nouvelles lois, tu vois, sur la législation financière, il a fallu remettre tout ça à l’ordre du jour et on a créé pour la première fois un journal municipal à Lille. Alors que la Ville de Lille était une des pionnières en France dans la création d’un journal municipal, entre parenthèses qu’il n’était pas, c’est finalement en 1995 que tout ça, avec pour se mettre en conformité avec la loi sur le financement des partis politiques et autres, qu’on a créé le journal municipal, qui à l’époque s’appelait Nous, Vous, Lille. Ca permettait de faire un jeu de mots. C’est moi qui avais trouvé ce titre-là. Et ça reste grosso modo la ligne éditoriale du journal : « Nous » Ville de Lille, on a des choses à dire à nos concitoyens, des informations à apporter, des services à faire connaître ; « Vous » lillois, vous faites des choses dans la Ville, vous participez à la Ville, vous créez des commerces, vous créez des entreprises, vous créez des associations, vous faites des choses et tout ça… Et « Nous » plus « Vous » ensemble, on fait « Lille ». Donc grosso modo, ça reste la ligne éditoriale du journal actuel. C’est pour ça qu’on a nos pages « Rencontre » à la fin du journal où on met en valeur des gens qui participent aussi à la renommée de Lille parce que c’est pas seulement que les élus qui ont des propositions et tout ça, qui travaillent à la construction de Lille et que tout ça c’est un ensemble. On s’est aperçu assez rapidement que Nous, Vous, Lille, d’abord le jeu de mots que j’avais trouvé, dont j’étais très fier, peut-être était trop intello et que ça passait pas, que les gens ne comprenaient pas Nous, Vous, Lille mais comprenaient le "Nouveau Lille". Souvent, on avait des appels : on veut parler au "Nouveau Lille" etc. Finalement, on a voulu… et puis on a fait une petite enquête et on s’est aperçu que beaucoup de gens confondait tout ça et que ça passait pas forcément ! Alors qu’on l’avait expliqué dans le journal, dans l’édito, ce qu’on voulait dire Nous, Vous, Lille. Bon, jeu de mots qui ne passait pas, c’est possible et du coup, on a changé et on l’a appelé tout bêtement, tout simplement Journal de Lille.


Pierre : En quelle année ?
G.L.F. : Alors, ça, Nous, Vous, Lille, on l’avait créé, après les municipales de 1995. On a dû tenir un an ou deux et puis après on est passé très vite au Journal de Lille. Et puis, on a fait le Journal de Lille jusqu’en, Martine AUBRY a été réélue en 2001, jusqu’en 2002. Pourquoi
2002 ? C’était au moment où notre appel d’offres arrivé à terme et donc qu’il fallait en faire un nouvel. Et du coup, on a décidé de relooker complètement le journal. On est passé d’un format tabloïd au format actuel, pas tout à fait Le Point mais plus proche de celui de Marianne, et puis avec un relookage, un nouveau rubriquage, des nouvelles couleurs, etc. C’était à l’occasion… il fallait montrer une rupture, quoi. Martine Aubry venait d’être élue, on a terminé l’appel d’offre avec notre ancien maquettiste, imprimeur et tout. Donc, on a voulu faire du nouveau, on a un peu transformé le logo, faudrait que je retrouve l’ancien. On a essayé de le mettre en connexion, alors qu’à l’époque, on ne l’était pas autant, avec le Net. On n’avait pas un très bon site à l’époque. On a essayé, quand même, de mêler les deux, ce qui ne se faisait pas du tout à l’époque. Maintenant, y’a pas un journal où il n’y a pas l’adresse du site dans le titre. Avant, ça se faisait pas. Et tu vois même actuellement, regarde Le Point, il est de mai 2008, et ça c’est petit. Tandis que nous, « Magazine » et les 3 w, c’est quasiment la même taille. Et donc ça, on l’avait fait en 2002. Donc relookage, nouveau rubriquage et puis voilà, quoi ! On faisait avant avec le Journal de Lille 18 pages ; après on est passé à 36 comme on a changé d’imprimeur qui ne pouvait pas faire du 36 tout bêtement ça nous a donné l’opportunité de faire du 40, et puis voilà, quoi. Et puis quelques fois, du 48, oui. Voire même, on a fait un numéro de bilan de mi-mandat en 2005 qui était un 64 pages.


Pierre : Et justement, le rapport au Maire, et aux adjoints, comment ça se passe au niveau photographique, rédactionnel ? Comment ça fonctionne tout ça ?
G.L.F. : Si tu veux, on essaye de maintenir une ligne qui est aussi pratique dans la mesure où Martine AUBRY n’a pas délégué la communication à un adjoint. Nous dépendons directement d’elle. Si bien que, je pense que le lillois comprend bien que Lille Magazine, c’est le journal de Martine AUBRY. Comme avant, c’était le journal de Pierre MAUROY. Donc, on dépend du cabinet, tu vois. Après, à étudier plus finement. (Nous, on a jamais fait de sondage, on a jamais fait tout ça) si le citoyen considère que Lille Magazine, c’est le journal de Lille, de la municipalité ou de Martine AUBRY, tu vois. Il est évident que dans les tous premiers numéros du Lille Mag’ tel qu’il est, Martine AUBRY, qui venait d’être élue, qui était encore jeune maire, il fallait la faire apparaître un peu plus que ce qu’on pouvait faire avant avec Pierre Mauroy qui était plus connu, reconnu, etc. Il faut dire aussi que Martine AUBRY, qui est quand même beaucoup plus présente à Lille dans les manifestations, de la plus petite à la plus grande, que ne l’était avant Pierre MAUROY, qui n’en avait pas besoin, quoi, il en était à son 3ème ou 4ème mandat, il en avait pas besoin. Il pouvait déléguer à untel ou untel, tu vois. Les apparitions de Pierre MAUROY, elles étaient beaucoup plus rares que ne le sont celles de Martine AUBRY. Parce que Martine AUBRY, elle est partout : à Lille Plage, tu l’as vu avec LAGERFELD, à tous les vernissages. Pierre MAUROY, il faisait un vernissage de musée sur cinq. Martine AUBRY y est systématiquement. Donc forcément il faut aussi rendre compte de l’activité du Maire, les gens le savent, ils le savent très bien : elle est dans les quartiers, dans les réunions publiques, et tout. Donc, bon, évidemment, le problème c’est qu’il ne faut pas… puis il faut tenir compte du fait que nous, on est mensuel, on a 40 pages. Mais si tu comptes sur un mois, 30 jours, 30 parutions de La Voix du Nord ou de Nord-Eclair, c’est la même chose. Oui, tandis que nous, si on mettait en photo toutes les manifestations, enfin Martine AUBRY à toutes les manifestations auxquelles elle assiste, il faudrait en mettre quatre par page ! Donc évidemment, c’est ça qu’il faut faire gaffe, parce que nous, on est un petit journal, 40 pages, distribué une fois par mois, il ne faut pas non plus lasser le lecteur etc. Mais La Voix du Nord ou Nord-Eclair publient au moins trois fois plus de photos de Martine AUBRY que nous.


Pierre : Après une étude de la présence de Martine AUBRY dans Lille Magazine sur plusieurs mois, il a quelques numéros où il y en a un peu plus mais en général c’est 5 ou 6 photos dans les premières pages…
G.L.F. : Dans les pages « Actu ». Nous, on essaye de valoriser sans… C’est parce que les gens s’en rendent pas compte, quoi. Il y a plus de photos, d’archives photo de martine Aubry à La Voix du Nord ou Nord-Eclair. Ca doit être quatre fois ce que nous on doit avoir, quoi. Enfin, nous, on ne publie pas tout non plus. Mais c’est aussi le travail du photographe, du journaliste photographe, c’est aussi, systématiquement dans les manifestations, de prendre les personnalités présentes, c’est un minimum, quoi. Regarde aujourd’hui, Daniel RAPAICH, il fait le tour des centres aérés, forcément il y a 2 ou 3 élus, donc forcément ils vont se retrouver sur les photos, quoi.


Pierre : Quelles sont les relations avec le cabinet dans la réalisation du journal ?
G.L.F. : Alors, comment ça marche ? Bah, tu l’as vu ! On se réunit, on fait le sommaire dans la mesure où ici, on est quand même un petit peu des anciens qui avons l’habitude des choses et qui suivons l’actu chacun dans nos domaines. On voit grosso modo les grandes échéances d’actualité du mois à venir. Et chacun est informé dans son domaine, tu vois. Donc, Valérie, elle suit un peu plus ce qui est environnement ou bien quartier, elle a son réseau, elle est bien au courant, elle a des informateurs, son carnet d’adresses. Sabine, c’est autre chose. Donc tu vois, si bien qu’on arrive à bâtir un chemin de fer, qui grosso modo, jusqu’à présent je n’ai jamais vu le contraire, est acceptée par la Directrice de Cabinet. Et à partir de là, et bien chacun travaille. Les journalistes, les photographes ensemble, séparément etc. Tout arrive ici et moi, je relis systématiquement. Je fais porter les articles à Violette (Note : Violette Spillebout, Directrice du Cabinet) que j’ai rencontré, à qui j’ai déjà présenté le chemin de fer et puis elle relit, elle relit elle-même ou elle fait relire par qui elle veut, enfin après ça me revient. C’est corrigé, donc tu l’as vu, y’a jamais grand-chose comme correction. Voilà, et puis à partir, au fur et à mesure que les papiers arrivent, tu vois, comme on a plutôt l’habitude, que j’ai confiance en l’équipe et je pense que le cabinet a confiance en l’équipe. Je peux me permettre d’envoyer les papiers même avant qu’ils ne soient relus. Après, ce sera des petites corrections, tu vois. C’est jamais un papier en disant non, nul à refaire ou bien sujet qu’on ne traite pas et tout donc je ne prends pas trop de risques. Je sais que y’a un ou deux petits mots, une précision, et puis, c’est tout. Je le fais fabriquer, et voilà. Martine AUBRY, elle voit la Une du journal. A chaque fois, je lui en soumets 3 ou 4. Et puis, elle décide et elle relit l’édito.


Pierre : C’est vous qui l’écrivez ? Depuis le début ?
G.L.F. : Oui, depuis toujours. L’édito, je le fais un peu avant le bouclage et je le soumets à Martine AUBRY. Je fais une proposition d’édito à madame le maire et puis, ça me revient. Quelques fois, y’a des rajouts, bon là, y’a eu des suppressions. Alors que j’essaye toujours de maintenir la même chose. Donc du coup, l’édito est plus court que d’habitude cette fois-ci, sur la version papier.


Pierre : Comment ça s’est passé durant la période électorale ?
G.L.F. : Il y a une loi très stricte en matière de communication en période électorale si bien qu’on l’a appliqué complètement, on a fait en sorte de ne pas valoriser… Même la Ville, on ne peut pas la valoriser, tu vois. On ne peut pas dire, je me souviens parce que bon, pendant un an avant les élections, tous les journaux ont été relus par un avocat, l’avocat de la Ville, tu vois. Et, je me souviens d’un exemple concret, c’est au mois de septembre l’année dernière, j’avais titré sur la « Grande Braderie de Lille ». Et puis donc, il m’appelle et il me dit
« Grand », c’est valorisant. Tu vois mais les gens, ils disent ça « la Grande Braderie. C’est dans l’appellation commune de la braderie. Et du coup, j’ai retiré, bon, j’ai mis « la Braderie ». Tu vois, parce que c’était valoriser, du coup, la Ville de Lille. Donc, on a fait extrêmement gaffe à ne valoriser aucune initiative. On ne disait pas que « la Ville est belle », « elle est agréable », on ne disait rien. On disait pas qu’on faisait des travaux pour embellir mais « c’est des travaux », quoi ! Là, ce n’est plus la peine de s’amuser à faire du style ou de l’écriture qui rend compte des faits où on a fait dans la simplification, et puis voilà. Donc, on l’a fait, on l’a respecté strictement. Après chacun d’entre nous était libre en tant que citoyen, en dehors de ses heures de travail, de s’investir ou pas. Chacun l’a fait selon son goût, ses envies, sa conscience et puis voilà. Mais c’était pas le Rédacteur en chef du journal, c’était pas le Directeur adjoint, c’était en mon nom.


Pierre : Avez-vous votre carte au Parti Socialiste ?
G.L.F. : Oui, moi oui. Mais personne ne l’a demande. Y’a pas d’obligation… Lors de notre première rencontre, j’ai bien senti que tu n’étais pas un jeune de l’UMP. Donc, tu vois, ça se sent, ça se voit. Après, je vais pas te dire, faut que tu prennes ta carte au PS. D’abord, c’est illégal. Y’a quand même des lois. Mais avant, c’était pas comme ça. Avant, tu rentrais en Mairie que si t’avais ta carte. De même que quand tu rentrais à la Mairie de Paris que si t’étais carté au RPR. C’était vrai pour tout le monde. Y’a aucune différence là-dessus, enfin à l’époque, entre la gauche et la droite. Chacun amenait ses affiliés, ses équipes. Maintenant, il ne serait plus question de ça, quoi.


Pierre : Y a-t-il déjà eu des remarques de l’opposition sur le Lille Magazine, qui serait trop pro-Martine AUBRY ?
G.L.F. : Non, parce que je pense pas qu’on aille dans l’excès non plus, tu vois. C’est peut-être aussi pour ça qu’on nous fait confiance en tant que journalistes, c’est qu’on n’est pas des propagandistes, tu vois, c’est pas… Tu connais le journal du PS ? L’Hebdo des socialistes, tu l’as déjà lu ? C’est fait par des journalistes. Quelques fois, c’est plus de la propagande qu’autre chose tandis que nous, on n’essaye pas de faire de la propagande. Un journal, ça doit présenter tout ce qui se passe dans la ville, tu vois. La braderie, parler de la Braderie, c’est pas faire de la propagande pour la Ville de Lille ni pour Martine AUBRY mais pourtant, pourtant, ça participe de la bonne renommée de la Ville. Lille 2004, Lille 3000, tu vois, hein, lorsqu’on met en valeur sur deux pages Roger SALENGRO, le tournage de BOISSET, on parle de la politique, on ne parle pas que d’un téléfilm avec des acteurs, tu vois. C’est une position, on évoque un maire, on évoque un problème politique, une rumeur qui a mal dégénéré, un suicide, etc. Bon, c’est quand même de la politique, tu vois.

Pierre : Comment Lille Magazine est-il perçu par les lecteurs ? Il n’y a jamais eu d’études de lectorat, je crois ?
G.L.F. : Non, il n’y a jamais eu d’enquête parce que bon, ça coûte cher, tu sais très bien, tu as côtoyé suffisamment Patrick ces derniers mois. Il nous manque des sous. Alors, comment c’est perçu ? Il y a plusieurs moyens de vérifier. D’abord, il y a les gens, et ils ne sont pas si nombreux que ça finalement, qui râlent parce qu’ils n’ont pas eu le journal dans leur boîte aux lettres. Et ça, le problème de la diffusion d’un journal municipal, c’est un problème éternel, et pour toutes les villes, parce qu’il suffit que ce soit papa qui rentre deux heures avant sa femme, qui jette le journal et que la femme elle ne l’a pas vu. Le jour où tu fais le sondage, c’est la femme qui dit : « Ah bah non, je ne le reçois jamais ! ». Son mari, il le planque ou il le jette. Ou alors, c’est le gamin qui rentre à 16h30 du lycée et qui prend le courrier dans la boîte aux lettres, il met le courrier pour ses parents et puis tout le reste, il considère que c’est du prospectus puis il jette. Tu peux jamais avoir, tu vois, une vision juste de la distribution. Bon, c’est un premier moyen de contrôle, c’est de compter tous ces gens qui nous appellent parce qu’ils ne l’ont pas eu. Bon, deuxième moyen, c’est ici en mairie, André va arriver tout à l’heure, il va mettre des exemplaires en mairie. Tu vois tout de suite si ça part ou si ça part pas. Donc, tu sais déjà si la couverture elle est aguichante ou pas. Quelques fois, il nous est arrivé, André, il remettait un petit paquet de 50 tous les deux jours. Quelques fois, peut-être cet après-midi, avant qu’il ne reparte chez lui, il va devoir remplir son chariot trois fois. Donc tu vois, on vérifie comme ça. Après, on vérifie aussi par le nombre d’information et, ou d’invitation que nous recevons. C’est-à-dire qu’on est considéré comme un média à part entière et qu’on reçoit au même titre que la Voix du Nord, toutes les informations. Je ne te parle pas des informations municipales, là c’est quand même plutôt normal, quoi. Je te parle de l’extérieur. C’est comme le numéro qui est paru aujourd’hui parce que bon, Fanfreluche est une initiative de Sabrina , les gâteaux, c’est une initiative de Sabine. Mais autrement, on est quasiment averti systématiquement d’une ouverture de commerce, d’une asso, et tout. On est sollicité, téléphone, mail, courrier, et tout et donc je pense qu’il y a un impact, Lille Magazine est connu, reconnu dans la Ville. Il peut apparaître en tant que sponsor dans différentes manifestations, tu vois, par exemple y’a des affiches où le logo apparaît, les grandes affiches dans la Ville « Lille Magazine, un magazine essentiel pour une ville capitale ». Donc, je pense que c’est connu, reconnu. Et puis, on reçoit aussi, quand même, un petit peu de courrier des gens qui veulent faire passer des infos, tu vois.


Pierre : Il y a déjà eu des droits de réponse ?
G.L.F. : Non. Dans l’histoire du journal ? On a eu quelques petits problèmes au niveau des photos. Maintenant, on fait très gaffe. Chaque photographe demande les autorisations aux parents, y compris lorsque les parents inscrivent leurs gamins à des centres de loisirs ou autre. On a eu un problème une fois avec quelqu’un qui connaissait trop bien la loi à mon avis pour savoir qu’il pourrait gagner un petit peu de pognon, hein donc tu vois. On a réussi à s’arranger avec. Et puis après, on a eu une fois un truc vraiment malheureux, c’est des parents qui sont arrivés dans les bureaux en pleurs. On avait publié une photo d’archives d’un gamin qui était décédé entre temps. Donc, dans ces cas-là, ce qu’on a fait, c’est qu’on a offert la photo, y compris la pellicule, à l’époque. On leur a fait un gros tirage et tout, tu vois. Ils étaient contents, fiers, tu vois mais ça les a choqués d’ouvrir le journal et puis de voir ça… Donc maintenant, on fait un peu gaffe à ça. On essaye lorsqu’on doit prendre des photos de ne pas utiliser trop dans les archives. Parce que le gamin qu’on va photographier en ce moment, aujourd’hui au centre de loisirs, on ne sait pas s’il va se tuer demain. Si bien qu’on a trouvé un truc très simple, c’est pour toutes nos publications, on met les enfants du service. Comme on a un service jeune qui fait des enfants, comme ça, ça ne pose pas de problème.


Pierre : Et comment les journalistes de Lille Magazine sont-ils perçus par les autres journalistes de PQR, notamment ? Quand vous êtes passé de la presse traditionnelle à la mairie de Lille, est-ce que vous avez senti une…
G.L.F. : Différence ? Ouais, à plusieurs domaines. D’abord, certains m’ont considéré comme « vendu », vendu au pouvoir local, hein tu vois, aux militants. Comme je travaillais déjà pour, avant mon petit intermède Voix du Nord, j’étais au Matin du Nord, Matin de Paris, tu penses bien que c’est un journal de gauche. C’est comme si tu vois quelqu’un du Nouvel Obs’, tu vas pas penser qu’il est de droite, quoi. Travailler au Nouvel Obs’ ou qu’il devienne rédacteur en chef du Journal de Paris ou de la Ville de Lille, tu peux le comprendre, c’est un cheminement tout à fait normal, quoi. Donc, y’ a eu ça. Y’a eu, autre réaction. C’est pas scientifique ce que je te dis, c’est vraiment par rapport à mon expérience. Y’a eu des gens qui m’ont dit
« T’es vendu », d’autres qui m’ont dit « Putain, t’as de la chance, tu travailles à Lille, tu n’as plus la route à faire », tu vois. Et d’autres qui m’ont dit, non pas au niveau de la route, « Tu peux tout faire », comme on était que 3, 4 à l’époque à la mairie. Tandis que quand t’es localier à Denain, pour que tu deviennes responsable de la rubrique théâtre, dans l’édition Voix du Nord Métropole, je vais te dire que t’as du chemin à faire. Non mais c’est vrai, tous les postes sont pris. L’avantage du journaliste soi-disant territorial, c’est que c’est une petite équipe pour faire un journal et que tu peux tout faire, tu vois. Tandis que quand t’es localier, t’es localier faits divers, tu t’occupes, je sais pas des syndicats, de la vie municipale. Tu suis la vie municipale de la ville de Valenciennes, tu ne fais que ça. Tu vas pas faire le théâtre… Tandis que nous, en dehors des faits divers qu’on ne fait jamais, alors que c’était une chose qui m’avait amené dans le métier au départ, on peut tout faire. Tu vois bien, toi en tant que stagiaire que tu as pu t’appliquer dans des sujets plutôt intéressants, quoi. Tu serais à La Voix du Nord, je vais te dire, on te demanderait de rédiger des communiqués, des trucs comme ça. A Nord-Eclair, un peu mieux parce qu’à Nord-Eclair comme c’est une petite équipe et que tout le monde peut pas tout faire, tu vois. Donc, t’as vu ton copain et ta copine de Sciences Po, ils ont eu quand même des sujets intéressants mais c’est pas évident. Si t’es stagiaire, moi j’ai connu la fille d’un pote qui était au Monde, elle a fait, c’était il y deux ans, elle a fait un stage de 5 mois au Monde, elle a réussi à placer un papier, un papier signé. Tu vois, tout le reste du temps, on lui faisait faire des brèves en 5 lignes, qui la plupart du temps ne paraissaient pas faute de place. Un seul papier en 5 mois ! Alors, comment t’es perçu ? Après, bon ben dans la mesure où c’est toujours pareil le métier de journaliste, c’est un métier de relationnel, quoi. Les gens ils se connaissent, ils s’apprécient, ils se détestent, ils se méfient des uns des autres et tout. Mais finalement, ils se reconnaissent, c’est une espèce de corporatisme malgré tout dans la profession, c’est-à-dire tu travailles pour La Voix du Nord, Nord-Eclair, Lille Magazine, pour la Chambre de Commerce pour le magazine Face, voilà quoi tout ça. Finalement, tu te retrouves ensemble sur des coups, tu bouffes ensemble, tu parles boulot ensemble. Et tout ça, donc finalement, on oublie après le titre pour lequel on travaille, tu vois. On n’est pas journaliste de Lille Magazine, on est journaliste à Lille Magazine. C’est ça la différence, tu vois. J’ai jamais dit « Moi, je suis journaliste de La Voix du Nord ». Je suis journaliste à La Voix du Nord. D’abord, tu es journaliste et puis après tu l’es en fonction du titre et du travail que t’as trouvé, quoi.


Pierre : On dit souvent que la presse territoriale manque de liberté, qu’il y a de la censure ou de l’autocensure. Finalement, de leur côté aussi il y a de la censure…
G.L.F. : Ils ont complètement de la censure, tu penses bien ! Ils peuvent…, ils s’autocensurent et ils sont encore plus flagorneurs que nous, tu vois. Ils sont toujours dans le sens du pouvoir, moi je l’ai vu à Denain, quand j’étais à La Voix du Nord. Une municipalité communiste, on était communiste. 25 km plus loin, à Valenciennes, une municipalité à l’époque RPR, tout le monde était RPR. Tu vois, on est toujours dans… Nous, on se pose jamais la question de savoir à qui on doit plaire. On a déjà un truc vachement bien, c’est qu’on n’a pas d’audimat. Les journaux sont payés par le contribuable, on a intérêt à lui plaire naturellement. Un journal qui perd des lecteurs, c’est un journal qui va devoir licencier, peut-être fermé. Nous, on n’a pas ce souci économique-là. On est débarrassé de ce souci économique. Les journaux de PQR bien sûr, ils ont vu, enfin maintenant je pense que les jeunes journalistes sont habitués parce qu’eux-mêmes, ils ont lu quand ils étaient dans leur famille, à la maison avant de devenir des journalistes, des journaux municipaux. Tandis que les plus anciens, je me souviens qu’ils avaient peur qu’on leur fasse de la pub, tu vois c’est toujours la même chose. Après, le débat, il s’est reproduit dix ans plus tard avec la presse gratuite. C’est toujours cette peur qu’on va leur prendre des parts de marché, que tu vois, ils ne sont plus hégémoniques, ils se montent le col en disant qu’ils sont eux libres, indépendants et tout, ce qui n’est pas vrai non plus, tu vois. Eux, ils ont d’autres contraintes, je vais te dire, l’argent et il faut pas déplaire non plus au notable du coin. Nous, c’est vrai que tout ce qui est un peu polémique, on ne le traite pas d’une certaine manière. S’il y a malheureusement un fait divers à Lille, on ne va pas en parler, tu vois. On ne parle pas de problèmes de justice, tout simplement parce qu’on est mensuel, quoi. Tu peux pas, tu peux pas résumer comme ça des faits divers aussi facilement dans un mensuel.


Pierre : Existe-t-il une clause de conscience en cas de changement de majorité ?
G.L.F. : Y’a pas dans les textes véritablement de clause de conscience. De même qu’on n’a pas la carte de presse, on n’a pas la commission paritaire, c’est évident que si la mairie passe à droite, je serais démissionnaire forcément. Et de toute manière, je suis connu sur la place lilloise comme étant quelqu’un qui travaille pour Pierre MAUROY et Martine AUBRY maintenant. Donc, je vais te dire, y’a personne qui se fait d’illusion sur moi, quoi. Je peux pas leur dire « Vous savez, j’ai fait semblant pendant 22 ans en fait. En fait, je suis de droite ! ».


Pierre : Que pensez-vous de la reconnaissance de la carte, notamment, pour les journalistes territoriaux ? Carte de presse ou carte de presse spécifique ?
G.L.F. : Je pense plutôt une carte spécifique. Finalement y’a quand même la grande charte de déontologie et tout, tu vois. C’est un peu particulier, tu vois comme si… Le Nouvel Obs’, c’est un journal globalement de gauche, a priori tu peux être d’extrême gauche ou de gauche complètement modéré. Mais ils défendent les mêmes valeurs, les mêmes idées tout ça. Ca fonctionne plutôt bien et à ça peut être le ciment, bon. Là, c’est quand même, dans le presse territoriale, on pourrait être associés, tu vois. C’est un peu ce qui fonctionne avec le Club de la presse à Lille. Moi, je suis membre du Club de la presse mais je suis membre associé, tu vois. J’en ai longuement discuté avec l’ancien président, qui était un journaliste de Liberté, donc communiste, donc un journal d’opinion. Comme pour moi avec Lille Magazine, je peux dire que c’est un journal d’opinion, aubryste. Hé bien, il me disait « Moi, je suis un journal vendu », tu vois. Donc, tu sais finalement la carte de presse, ça sert pas à grand-chose, à part rentrer gratuitement au musée. C’est tout ce que tu peux avoir comme avantage. Le dégraissement fiscal, tu l’as même si t’as pas la carte de presse à partir du moment où tu justifies que tu travailles pour un journal à tel point que le directeur de publication du journal gratuit ParuVendu, hé bien il est considéré comme journaliste. Parce que c’est lui qui dirige ce journal-là. Au niveau fiscal, t’as pas beaucoup d’avantages. Journaliste de presse territoriale, membre associé, tu vois. Carte de presse ? Oui, pourquoi pas ! Carte de presse, en dehors d’avoir l’accès gratuit au musée, c’est rare qu’on te le demande pour justifier ta qualité.


Pierre : Comment situez-vous Lille Magazine dans la communication de la Ville ? Est-ce un outil essentiel ?
G.L.F. : Moi, je pense que ça reste le navire amiral de la communication. Et je pense, encore une fois, que c’est pas lillois, dans toutes les villes c’est comme ça, quoi. Quand Internet sera beaucoup plus développé, j’ai encore écouté une émission de radio hier disant que les français étaient 12 ème au niveau des pays européens et qu’un foyer sur deux avait Internet. Quand tout le monde aura Internet, je pense que le site aura encore plus d’importance. Mais, pour l’instant, malheureusement, ça reste le papier ! Et encore, tout le monde ne lit pas. Si tu savais le nombre de personnes qui ne lisent pas. Ou qui ne comprennent pas. Ou parce qu’on était trop compliqué. Nous, on ne peut pas dire, nous on n’a pas de ménagère de moins de 50 ans. Y’a pas de créneau 15-25 ans, tout ça, tu vois. Lille Magazine, ça va dans toutes les boîtes aux lettres, ça rentre chez les gens. Ca peut être lu par le grand-père, par l’ado de 14 ans ou par les parents de 35 ans, tu vois. On peut pas dire « Nous, on a ce créneau-là et on s’y tient ». On est obligé… Non seulement ça, ce serait encore discriminatoire si par exemple le concitoyen de 85 ans n’avait pas le journal alors que celui de 21 ans, il l’a, tu vois. On doit s’adresser à tout me monde, à égalité. Ca reste un service public. Le tout, c’est d’avoir dans sa ligne éditoriale le souci de penser à l’un et à l’autre au moins une fois dans l’année, tu vois. C’est pour ça par exemple, c’est un exemple des quartiers. Tu vois bien, Valérie, elle ne fait pas les dix quartiers lillois chaque mois. Mais elle essaye de faire en sorte que dans l’année chaque quartier soit au moins une fois traité, tu vois. Et je pense que c’est un peu ce qu’on doit faire aussi, c’est-à-dire un jour parler des vieux, une autre fois d’un groupe de rap, une troisième fois de l’opéra, de l’opérette, de n’importe quoi, tu vois. Pour que les gens, ils se disent « C’est un journal qui m’interpelle et qui s’occupe de moi ». Et, il faut pas oublier, ce que tu disais tout à l’heure comment on est perçu, tu sais qu’un journal gratuit, ça un impact fort. Y’a plein de gens qui n’achètent pas de journaux. C’est lu, moi je le sais bien avec mon expérience à Métro depuis le début à Lille. Y’a plein de gens que je n’avais pas vu tout ça depuis des années qui me parlent de mes articles, ils me citent des papiers, des trucs comme ça, tu vois. J’ai plus d’impact avec Métro que j’ai quand j’écris un papier dans Lille Mag’ déjà. Et donc, ça veut dire que les articles sont lus. Moi aussi, je prends encore le métro, je vois bien que les gens ont ça et donc, à la maison, ils ont Lille Mag’, ils ont ParuVendu, ils sont tout ça. Et c’est pas pour autant qu’ils achètent La Voix du Nord ou Nord-Eclair, c’est hyper rare, hyper rare. Ca peut coûter cher sur un budget. Moi, hier, j‘étais à Boulogne. Première chose que j’ai faite en arrivant à Boulogne, c’est d’acheter la Voix du Nord, c’était l’édition de Boulogne. J’avais donc les pages régionales et nationales. Et puis, j’ai acheté… Bon, ça me coûte 3 euros mais bon, c’est pas grave parce qu’ici j’ai les journaux gratos. Donc, une fois de temps en temps… Je serai incapable de vivre sans journal, moi, c’est une habitude comme ça. Je vais en vacances en Bretagne, j’achète le journal local et j’en ai besoin. Et c’est vrai que les gens, s’ils peuvent avoir… Et après, on peut se poser la question : est-ce qu’un journal finalement, ça ne devrait pas être que gratuit ? La télé, elle est quasiment gratuite parce que les gens oublient qu’ils paient leur redevance. La radio, elle est gratuite, entièrement. Internet, c’est gratuit. C’est pour ça, moi, j’en ai discuté avec Didier POURQUERY qui avait lancé Métro, qui est maintenant Directeur délégué à Libé, il voulait faire un journal populaire d’information comme Le Parisien qui était plutôt bien fait, Aujourd’hui en France est plutôt bien fait, à 30 centimes d’euro. Il pouvait casser le marché. C’est-à-dire que là, les gens allaient facilement acheter…
Qu’est-ce que j’ai comme souvenir ici par rapport à Lille Mag’ ? Ouais, c’est ça, pendant un temps, les plus anciens des journalistes de La Voix du Nord, qui sont aujourd’hui en retraite, craignaient la concurrence et craignaient qu’on fasse de la publicité. C’est pour ça qu’on a jamais fait de publicité, c’est difficile à gérer, tu vois. Car il faut un gars qui fasse les démarches, après c’est très compliqué parce qu’ils veulent dire « Ouais, mon client, il veut avoir sa pub à tel endroit et tout ça, je lui ai promis, allez, je t’en prie… », tu vois, t’es plus maître de ta maquette. Et après, il faut gérer ça financièrement, c’est-à-dire qu’il faut avoir une régie, il faut encaisser, un secrétariat qui fasse des factures… C’est trop compliqué. Après, on peut trouver une deuxième solution, c’est faire externaliser tout ça, c’est-à-dire par exemple, je travaille avec Scoop Communication, tu vois, on pourrait très bien dire on fait 40 pages, on a le droit à un tiers de pub donc 12/13 pages. A vous Scoop Communication de nous trouver tous les mois 12 pages. Après, y’a toujours un peu de racket, moi j’ai vu comment ça se passait, c’est-à-dire démarcher de la pub : les mecs, ils voyaient un patron de bistrot en lui disant « Vous savez, Madame le maire, elle va pas être contente, elle va vous supprimer l’année prochaine, votre droit à la terrasse, tout ça, si vous lui achetez pas une pub », tu vois. Après, tu peux pas contrôler les mecs, ils font ça aussi. « Vous voulez une nouvelle terrasse, tout ça, achetez une pub dans le magazine municipal, le maire, il va peut-être étudier votre dossier ». Tu vois, les mecs, ils sont payés à la commission, ils sont pas comme nous. Alors, moi, je pense qu’un journal municipal débarrassé de la pub, y’en a suffisamment ailleurs. Qu’au contraire, les gens qui ont besoin d’annoncer, qu’ils aillent voir la PQR et autres. Et puis que nous, la presse municipale, quelle qu’elle soit, elle ne soit pas payée par la pub. Comme ça, au moins c’est clair et net. Si Sabrina a fait Fanfreluche, c’est parce qu’on trouve que l’initiative, elle est intéressante. Si on parle des gâteaux bios de la rue du Peuple, c’est simplement parce que c’est la première fois qu’une pâtisserie bio ouvre à Lille. C’est une initiative. Si on met ça en valeur, c’est parce qu’on pense que c’est d’abord une information. Après que le gars, il ait les retombées économiques et tout, peut-être il va en avoir des retombées immédiates, c’est pas pour autant que dans 6 mois, ce sera pareil. Si ces gâteaux sont dégueulasses, tu vois, c’est sympa le papier de Sabine, je vais aller goûter un gâteau. Si tu les trouves dégueulasses, tu vas pas y retourner, tu vois.


Pierre : Le développement de la presse en ligne ?
G.L.F. : Ce qui est bien, c’est que si l’année prochaine, tu t’en vas à l’étranger ou tu quittes la région lilloise, tu pourras continuer à lire, chaque mois, en ligne Lille Magazine grâce au site de la Ville. Il faut tenir compte de, je ne sais pas combien ils sont, 10 à 15 % des gens qui touchent jamais au papier et qui sont fondus d’Internet. Il faut pas les mettre à l’écart. C’est comme les gens qui sont aveugles, tu leur mets une version en braille de Lille Mag’ ou une version parlée sur le site. Ce qui est nouveau avec le Net, c’est l’absence de contrainte texte. Là, tu vois, si tu veux interviewer Yves BOISSET pendant trois jours, hé bien tu peux mettre trois jours d’interview. On n’est pas limité, c’est quand même bien. […] On s’implique de plus en plus dans le Net. Quand tu vois les scoops, ils sont publiés d’abord par les sites internet. Y’a pratiquement plus de scoops papiers, je vais dire, c’est un peu compliqué. Tu t’aperçois […] de plus en plus, les journalistes qui veulent faire des scoops, ils vont les faire sur Internet. Il va pas attendre jeudi matin, à la sortie du Nouvel Observateur, tu vois. Mais c’est pas la même chose, ce n’est pas le même lectorat, ce n’est pas la même écriture. Je ne sais pas quels sont exactement les critères. Est-ce que tu peux transmettre un texte écrit sur Internet ou s’il faut écrire autrement ? Mais c’est obligatoire maintenant. […]
Le souci de l’instantané, ça a toujours existé. Par exemple, après guerre, France-Soir sortait sept éditions par jour, sept éditions. Y’avait un titre à 4h du matin, ils en parlaient à 7h du matin, après ils apprenaient que le tueur avait été arrêté à midi et il changeait à 17h, et puis y’avait des gens qui vendaient le journal dans la rue, à la criée. La presse avait déjà ce type de traitement : Libération, tu vois, ils font 2 éditions : une première édition qui paraît à 5h du matin et une 2ème édition un peu corrigée, un peu mieux travaillée qui paraît à 8h du matin. Avec Internet, les journalistes peuvent changer l’info en permanence.


Pierre : Et le rapport entre Lille Magazine et le site de la Ville de Lille ?
G.L.F. : Il faudrait savoir comment les personnes perçoivent le site de la Ville de Lille : est-ce qu’ils le perçoivent comme un journal ? Les gens, ils considèrent plus que c’est un outil pratique pour savoir où je dois m’adresser pour déclarer mon gosse, comment je dois faire pour publier les bancs de mariage, des trucs comme ça, quoi. Faire apparaître mairie-lille.fr comme étant un journal qui donne de l’information municipale, c’est pas encore forcément dans la tête des gens. Par exemple, je vais aller à Toulouse, en vacances, la semaine prochaine, ça m’étonnerait que je regarde le site de la Ville de Toulouse. Je me renseignerai en achetant l’édition du journal local, en allant à l’Office du tourisme, en récupérant quelques plaquettes, en téléphonant pour avoir une adresse d’hôtel. C’est pas forcé que j’irai sur le site de cette ville. Je sais que là, en ce moment, notre site, il est consulté surtout par des gens qui veulent se renseigner sur la braderie. Moi, si je vais au festival d’Avignon, je vais pas taper avignon.fr, j’irai au festival, je me renseigne par ailleurs, tu vois. C’est aussi peut-être que moi, je suis un vieux, hein ! Non mais c’est vrai, on n’a pas trop les mêmes habitudes […]


Pierre : Quelque chose à rajouter sur les journaux territoriaux ?
G.L.F. : Bah, ça coûte pas très cher ! Je crois que grosso modo, notre journal (tout le monde ne paie pas des impôts) coûte un euro par jour pour le contribuable lillois. Donc tu vois, et c’est indispensable. C’est vrai, ça te permet d’avoir une vision globale sur ce qui se passe dans la ville sur un mois, quoi, parce que pour savoir ce qui se passe en ville, si t’es pas un lecteur de la presse payante, s’il n’y avait pas Lille Magazine ou autres publications, brochures, plaquettes et autres…je vais te dire, il faudrait lire La Voix du Nord attentivement en permanence !


(Interview réalisée par Pierre Leduc et extraite du mémoire "Presse municipale : des journalistes comme les autres ? L’exemple de Lille Magazine.")

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